Mouvement populaire en construction permanente, Nuit debout ne cesse d’interroger, intéresser, émerveiller, agacer, déprimer. Suivant les injonctions d’un Frédéric Lordon hyperactif ces dernières semaines, au Comptoir nous avons voulu « en finir avec les combats défensifs » (sans les oublier pour autant) et nous interroger sur « ce que nous voulons » pour l’avenir. De Paris à Marseille en passant par Toulouse et Lyon, Coralie Pages, Kevin “L’Impertinent” Victoire, Noé Roland, Rachid Zerrouki, Sylvain Métafiot, Thomas Milan, Vincent Froget ont passé des nuits debout à imaginer un avenir différent de celui que l’ultra-libéralisme nous impose. Ce sont leurs mots.
Reprendre notre place dans la République
Nuit debout émerge suite à la manifestation du 31 mars 2016 contre le projet de loi Travail qui prévoit une plus grande précarité flexibilité des travailleurs par un élargissement des marges de manœuvre patronales. Si le mouvement provient en partie de la mobilisation contre le retrait de la loi El Khomri, il ne s’y résume pas. D’une lutte défensive contre une loi mortifère pour les salariés est née une contestation sociale plus vaste qui a démarré par l’occupation de la place de la République à Paris avec l’objectif de faire converger les luttes et de « reprendre notre place dans la République ». Chacun se réapproprie la parole et l’espace public. Ni entendues ni représentées, des personnes de tous horizons reprennent possession de la réflexion sur l’avenir de notre monde. Dès le premier jour, la parole est libre et chacun peut intervenir au micro pour témoigner, apporter son point de vue, faire part de son désir d’évoquer un thème en particulier. Logement, précarité, travail, consommation, agriculture sont évoqués pêle-mêle. Ces prises de paroles qui s’enchainent, peuvent donner l’impression de n’être que des contestations (lutte contre telle mesure gouvernementale, lutte contre un aéroport, lutte contre la malbouffe, etc.) mais elles témoignent bien d’un refus de la société de consommation et de la domination en général.
Savoir hiérarchiser et trouver du commun plutôt que de contenter les contestations particulières semble justement être ce vers quoi tendent les Nuits debout. L’ennemi commun, dans le cadre de la Nuit debout, est l’élite politique et économique. Les élites politiques nous dominent et les élites économiques nous exploitent. Frédéric Lordon dit que « le vrai réalisme c’est de fermer la bourse, saisir les banques, et de ne pas payer la dette. » Comme lui, une grande majorité des participants souhaite s’émanciper de l’aliénation financière et ne veut plus travailler pour l’appétit sans limite de quelques courtiers pervertis par l’argent. Si la convergence doit bien s’opérer, elle n’adviendra qu’en démontrant comment toutes les luttes ont un ennemi commun (UE, patronat) plutôt que de mener à un empilement indigeste de luttes sociétales (antiracistes, LGBT, Palestine, vegans, etc.) qui masquent l’essentiel. Non pas parce que les luttes sociétales ne sont pas légitimes, mais parce que celle contre l’oligarchie politico-financière et la société industrielle est fondamentale et englobe toutes les autres. En ce sens, encourager tous les citoyens à prendre conscience que la liberté, l’égalité et la fraternité ne sont pas seulement les trois ingrédients d’une devise mais une éthique, à la fois collective et individuelle, est un objectif. À l’inverse, fractionner les luttes pour la défense des droits fait le jeu du FN de la classe capitaliste : les différents groupes se combattent alors “légitimement” entre eux pour défendre leurs intérêts propres. Ce n’est là que l’ultime répétition d’une vision de l’humain qu’on nous enjoint de reproduire : l’homme est “fondamentalement” égoïste, nous ne sommes qu’un vaste ensemble d’individu libéraux, « monade[s] isolée[s] » (Marx) dont la Justice doit réguler les intérêts (Michéa) pour qu’ils ne fassent que s’entrechoquer, ne mettant surtout pas en péril le système. Cela étant dit, ce n’est pas parce que les Nuits debout portent en leur sein des combats d’intérêts somme toute consensuels qu’il ne faut pas y participer. Au contraire, le mouvement a besoin de ceux qui croient qu’il “y a trop d’antifas, de vegans, de petits combats chacun pour sa pomme” pour se renforcer, notamment sur les questions économiques, sociales. Rien n’est jamais parfait. Il faut savoir aller au-delà de la simple critique pour participer à l’effort collectif et ainsi le rendre meilleur plutôt que n’être que l’autre face de la pièce des petites luttes de chapelle : des individualistes qui ne supportent pas de transiger avec la moindre parcelle de leur pensée (on devrait plutôt dire “posture”, d’ailleurs). Nombreux sont ceux, à tous les niveaux, qui ont mené des combats individuels et/ou partiels et surtout défensifs. Il est difficile, mais cependant nécessaire, de se départir de cette habitude.
Si révolution il doit y avoir, elle ne pourra pas être le fait d’une seule catégorie de la population. Si le peuple ne lutte pas dans son ensemble – entendu dans le sens “bas-peuple”, “petites gens”, “prolétaires” – le renversement ne pourra pas se faire. Il faut un peuple fort, conscient de la lutte de classe et qui porte un seul et même discours. La classe capitaliste que nous devons combattre est très unie, ce sont les mêmes qui construisent Notre-Dame-des-Landes et qui virent les salariés : Emmanuel Todd dans le supplément au Fakir de mai-juin 2016 dit d’ailleurs très justement « si [les participants aux Nuits debout] savaient à quel point les mecs en face d’eux, les patrons, l’État, le Parti socialiste, les banques sont organisés […] »

Quand l’adversaire commun est identifié, on s’aperçoit qu’il n’y a pas non plus d’opposition fondamentale entre les luttes des Goodyear (syndicales) et celles de Notre-Dame-des-Landes (décroissantes) envisagées sous l’angle du partage du travail entre les membres d’un même lieu, à une échelle locale. Partager le travail plus équitablement participe à lutter contre le chômage de masse d’une manière bien plus efficace qu’en le rendant flexible (comme se propose de le faire le projet de loi Travail). Partager le travail entraine également un meilleur partage des richesses et la construction de modes de vie différents, puisque qui dit partage du travail dit aussi réduction du temps de travail – ou augmentation du temps libre –, harmonisation des salaires (et surtout baisse de ceux plus élevés que les autres) et disparition, en conséquence, de certains produits superficiels. Le partage du travail est aussi une question de démocratie : une maîtrise des choix qui sont faits à notre place par les grandes entreprises capitalistes et leurs bras armés, la publicité et le marketing et les politiciens sous influence. Une fois ce pouvoir de décision repris, il n’y a pas plus de contradiction entre préservation des emplois et décroissance.
« Dans chaque cas, ce sont des droits humains, des principes non-négociables, qui se trouvent au travers du chemin de la croissance économique. »
Qu’on mette ou pas des mots sur les points d’agrégation, et qu’on le veuille ou non, il semble que nous arrivions à un moment où les crises – financière, écologique, sociale – se rencontrent, se rejoignent, s’agrègent les unes aux autres, et que le processus soit irrémédiable. Et c’est justement parce que ces crises sont liées les unes aux autres, découlent les unes des autres, que leur unité révèle les limites du système capitaliste : surexploitation des hommes, des terres et des ressources naturelles. Il serait vain d’établir là une hiérarchie. Il n’y a pas une crise plus éminente qu’une autre. On aurait tort de se focaliser seulement sur la question du travail d’ailleurs. Dans chaque cas, ce sont des droits humains, des principes non-négociables, qui se trouvent au travers du chemin de la croissance économique. La “dispersion” des Nuits debout – un groupe prend une heure pour débattre autour des ressources naturelles, un autre sur l’agriculture, un autre sur le travail, un autre encore sur la corruption de la science par les industriels – peut, en ce sens, avoir du bon. Laisser se démultiplier les commissions permet effectivement de garder le maximum de causes sur le même bateau, sans qu’aucune ne prenne le pas sur les autres, et en pariant qu’elles vont, quelque part, s’ensemencer et s’unifier. Ces dernières années, les discours politiques et scientifiques sur le travail l’ont à chaque fois réduit aux dimensions d’un coût économique et social. À l’opposé, essayons de partir d’une réflexion sur le travail pour que chacun se reconnaisse véritablement comme sujet de sa propre histoire et de celle des sociétés contemporaines.
De la place publique à l’alliance politique
Il y a, dans ce mouvement et même dans ses oppositions, une énorme frustration qui se traduit par une hostilité sans faille avec tout ce qui ressemble de près ou de loin à un mouvement politique institutionnalisé. En 1986, Cornelius Castoriadis, souvent en avance sur son temps, déclarait : « il y a longtemps que le clivage gauche-droite, en France comme ailleurs, ne correspond plus ni aux grands problèmes de notre temps ni à des choix politiques opposés. » En écho, François Ruffin disait récemment qu’à Nuit debout « Ce qui fédère les uns et les autres, c’est l’absence totale de perspective politique ». D’un côté ou de l’autre de l’échiquier politique les dés sont effectivement pipés, aucune alternative n’est proposée et quel que soit l’élu le résultat reste le même. Hollande l’a définitivement confirmé. S’il y a bien, dans les termes, une gauche et une droite, les deux revendiquent une fuite en avant (toujours plus de libéralisme économique et culturel) et taxent de réac’ sans autre forme de procès ceux qui ne veulent pas la suivre les yeux fermés. Philippe Séguin avait pour habitude de dire que « la droite et la gauche sont deux détaillants qui ont le même grossiste, l’Europe » (il faudrait quand même préciser que l’UE n’a fait que prendre le pouvoir qui lui a été remis par nos élites nationales et ne s’est rien appropriée d’elle-même). En réponse, Nuit debout essaie tant bien que mal de sortir de ce que Michéa appelle « l’alternance unique ». Malheureusement, le clivage gauche-droite reste un spectre qui hante notre vie politique. Aussi affaibli qu’il puisse l’être dans la réalité, il structure nos esprits et ceux des Nuit-deboutistes. Il y a aussi une méfiance – justifiée quoique parfois exacerbée par quelques antifas-chasseurs de sorcières – à l’égard d’une partie de l’extrême droite qui pourrait être tentée de faire de l’entrisme dans ce type de mouvement démocratique. Malgré tout, il y a une vraie volonté de laisser les différentes opinions s’exprimer, sans formuler de jugement.
La majorité des participants provient de la gauche radicale. Le mouvement s’y classe donc naturellement, cependant l’assemblée est presque totalement apartisane et le refus de récupération par un parti y est viscéralement ancré. Plusieurs personnes ont pris la parole dans les AG pour appeler à voter blanc pour la prochaine élection présidentielle, en expliquant que ce vote blanc pourrait être le symbole même de ce nouveau mouvement social. Ainsi, mouvement social par le bas, rejetant les partis politiques libéraux, Nuit debout refuse catégoriquement de s’intégrer dans le système actuel qui ne donne à voir aucune alternative crédible. La perspective d’en faire un Podemos français n’est pas recherchée. Le Parti de Gauche à l’inverse, essaie de tendre vers cela en proposant des forums et des plate-formes numériques ouvertes à tous les “insoumis” pour débattre, mais le succès semble très mitigé, d’après certains participants à la Nuit debout de Toulouse. On nous rapporte d’ailleurs qu’un élu du Front de gauche s’est fait huer à Lyon.
D’un autre côté, les participants ont bien conscience que ce rejet du politique institutionnel va renforcer la droite et la gauche libérale, qui vont pouvoir se vanter de représenter encore la base d’une démocratie représentative, plus sérieuse et “efficace” que les débats gesticulés de Nuit debout. L’utopie en tant qu’anticipation d’un monde connu non-encore advenu, mais véritablement désiré, est un aspect souvent souligné par les participants. Et pourquoi pas, après tout ? La démocratie représentative n’apparaissait-t-elle pas comme une utopie irréaliste au milieu du XVIIIe siècle ? Ce mouvement est aussi là pour nous enjoindre à créer de nouvelles formes, à prendre à notre compte la création de la société et de l’histoire. Il n’y a pas de déterminations naturelles ou historiques, il n’y a pas de lois. La société se fait elle-même et elle est en perpétuelle construction.
La question “comment construire un avenir commun” est d’ailleurs d’emblée évoquée. On tourne là autour de la question du lien social, et de la raison d’être du maintien des individus dans la société : qu’est-ce qui fait tenir ensemble, dans une même société, des individus par ailleurs tous différents ? Qu’est-ce qui fait qu’il y a entre eux un lien fort, qu’on peut appeler lien social, qui leur fait partager ou leur donne l’impression de partager un avenir commun ? Se poser la question passe par le refus de penser que l’ordre économique des échanges et sa régulation par la Justice serait le seul lien qui unisse les individus. Aristote dans La Politique, avait déjà montré que les simples considérations matérielles et économiques ne suffisaient pas à créer le lien social. Selon lui, c’est avant tout le vivre-ensemble (c’est-à-dire la recherche commune de la vie bonne) qui est la raison d’être de la Cité et qui constitue l’alliance politique des hommes. On est bien loin de l’image galvaudé et mièvre qu’on donne du vivre-ensemble où il s’agirait seulement de tolérer son voisin. Là, il s’agit d’une recherche, d’une réflexion éthique sur ce qu’est une vie riche de sens, une vie heureuse pour soi et pour les autres. Et ce sont les liens de citoyenneté qui sont les liens sociaux les plus éminents, les plus conformes à la nature même de l’homme, en tant qu’un animal politique (zoon politikon) et non pas un simple agent économique.
« Quand l’espace commun fait défaut, l’homme devient désintéressé et détaché du monde. »
Réussir à occuper collectivement, plusieurs jours de suite un espace public est un symbole fort. C’est justement quand cet espace commun fait défaut que l’homme devient désintéressé et détaché du monde. Penser un avenir commun passe par le fait d’exister parmi les hommes dans un espace commun, public, un espace politique (au sens grec) où chacun compte en tant que citoyen, un espace qui est aussi contingent et imprévisible, où il faut compter avec la diversité de chacun.
Réinventons le quotidien
Il y a quelque chose de joyeux dans cette redécouverte d’une créativité sociale qui s’exprime par la poursuite d’objectifs précis, limités et accessibles. Des actions concrètes sont ainsi évoquées et elles sont pour la plupart assez simples : éviter le supermarché, préférer les Amap ; éviter Amazon, préférer les librairies indépendantes ; s’intéresser aux sociétés coopératives dites Scop ; recycler ses vêtements, les “fabriquer”, aller dans des ressourceries ; cultiver son jardin ou un jardin collectif ; s’intéresser à l’histoire et à la politique afin de développer un esprit critique, favoriser une prise de conscience à la fois individuelle et collective dans les débats, mettre en place une véritable université populaire qui favoriserait la transmission d’un savoir qui émancipe, et non pas qui s’accumule bêtement.
Au Comptoir, nous tombons d’accord sur le fait que pour fonder une République sociale et conviviale, une mise en commun des efforts et des savoirs est nécessaire contre ceux qui veulent s’en accaparer les fruits. Pour cela, il faudrait mettre en place un protectionnisme ciblé dans les secteurs nationaux concurrencés à l’international permettant, comme son nom l’indique, une protection des salariés et – a minima – des services publics français sur lesquels l’État devrait avoir le monopole puisque leur libéralisation en dévoie la mission primordiale (i.e. servir le citoyen). Ce protectionnisme doit être national, mais aussi régional : le but est de re-localiser l’activité, que l’on produise au maximum là où on consomme.

Identifié plus haut comme un point de convergence des luttes, partager le travail beaucoup plus équitablement est nécessaire : il passe par une vraie réduction du temps de travail qui résoudrait le problème du chômage, causé en partie parce que pour produire, on a besoin d’une quantité toujours plus faible de travail. Il apporterait également plus de temps libre qui pourrait être consacré aux activités sociales.
L’interdiction des licenciements pour les entreprises en bénéfice semble également urgente, tout comme l’augmentation de leur taxation et l’interdiction des paradis fiscaux. Il faut nationaliser les grandes industries et surtout celles qui gèrent les ressources et services essentiels comme l’eau, l’électricité, l’école, la distribution du courrier, les lignes de trains, les routes. Mais l’expérience a prouvé que la nationalisation ne suffisait pas, quand elle n’est qu’un changement de patron (du patronat privé au patronat public). Il faut donc faire en sorte que les entreprises soient gérées démocratiquement par les salariés, mais aussi par les usagers, pour que le rôle de service public soit rempli. Il faut ensuite limiter l’écart des salaires. Peut-être faudrait-il commencer par les limiter sur une échelle de 1 à 20, comme le défendait ce bolchevik d’Henry Ford, puis dans un second temps sur une échelle de 1 à 10, comme préconisé par Orwell dans Le lion et la licorne – socialisme et génie anglais et taxer fortement à partir d’un seuil les revenus du capital (voir les confisquer). Dans l’absolu, il faudrait certainement réformer les statuts juridiques des entreprises et repartager la propriété des entreprises entre les salariés : l’objectif est de généraliser le modèle associatif et d’en finir avec la dichotomie salariat/patronat.
Ce ne sont que quelques pistes. D’autres chantiers doivent évidemment être lancés, notamment au niveau de l’éducation. Il s’agirait en premier lieu d’interdire la privatisation de l’école et de l’université. La « démocratisation de l’éducation » est d’ailleurs le troisième point du programme en six points de George Orwell dans Le lion et la licorne, après la nationalisation des grandes industries et la réduction de l’écart salarial.
La Constitution de la République sociale
Sur la place de la République à Paris et sur la place Guichard à Lyon, certains participent à des ateliers d’écriture de la Constitution de la République sociale. Frédéric Lordon (encore lui !) voit dans cette réécriture la clé pour éviter à Nuit debout d’être improductive à l’image d’Occupy Wall Street à New-York ou de déboucher sur la création d’un parti politique qui fait son lit dans une société dont la structure n’a pas changé.
« Quand nous pourrons avoir les yeux partout où se traitent nos affaires, partout où se préparent nos destinées, alors, mais alors seulement, on ne pourra plus étrangler la République. »
Au Comptoir, on constate d’abord qu’une constitution n’a de sens que si la nation est souveraine, c’est-à-dire si la nation entendue comme corps politique a un réel pouvoir de décision. Or, le droit européen prime actuellement sur le droit national. Il faut aller plus loin que ce que proposent les souverainistes de droite et d’extrême droite et conjuguer sortie de l’UE avec des mesures sociales et des réformes institutionnelles pour rendre leur pouvoir aux citoyens. La maîtrise de la politique économique passe également par celle de la monnaie, ce qui implique de sortir de l’euro. Il est également nécessaire de sortir des traités qui imposent la concurrence libre et non faussée à tous les niveaux, et de légitimer le protectionnisme national. Si la souveraineté populaire est un sujet largement évoqué et unificateur, l’opacité du fonctionnement de l’UE compliquent les débats sur la souveraineté nationale – sans compter son appropriation par l’extrême droite auxquels les politiciens des deux bords nous ont appris à répondre par une négation de discussion (pour ne pas « en faire le jeu », sic).

La souveraineté nationale ne suffit cependant pas à garantir la souveraineté populaire qui représentait pour Rousseau l’essence de la démocratie, et qui était pour Proudhon « le problème fondamental de la liberté, de l’égalité et de la fraternité, le principe de l’organisation sociale ». Le but est d’arriver à une vraie démocratie (aussi bien au niveau politique qu’au niveau économique). Lordon écrivait déjà il y a deux ans et demi que « le souverainisme de gauche est l’autre nom de la démocratie – mais enfin comprise en un sens tant soit peu exigeant. » Une nouvelle constitution ne vaudrait donc la peine d’être écrite que si elle permet un réel pas en avant, à savoir une libération du peuple français et de ses représentants du joug des grands groupes industriels et de la finance internationale. En cela, nous revendiquons une vision communarde de la souveraineté : « Quand nous pourrons avoir les yeux partout où se traitent nos affaires, partout où se préparent nos destinées, alors, mais alors seulement, on ne pourra plus étrangler la République. » (extrait de la proclamation pour la préparation des élections issue du Comité central de la Commune de 1871 définissant les conditions d’exercice d’une démocratie directe).
Nous vivons une vraie crise de la représentation et c’est bien là le point sur lequel nous tombons tous d’accord au Comptoir. Il nous faut repenser en profondeur notre système démocratique pour que nos élus ne forment plus l’aristocratie élective toute puissante qu’elle est aujourd’hui. Il est urgent d’établir un mandat impératif, où les élus ne seraient pas des représentants, mais des mandataires avec une mission précise et qu’on aurait la possibilité de révoquer. Une dose de tirage au sort serait également une bonne idée. Par ailleurs, il faut strictement interdire le cumul des mandats et diminuer la rémunération des élus, pour dé-professionnaliser la politique.
Inspirés par le modèle suisse de la démocratie directe, nous pensons que les référendums d’initiative populaire sont nécessaires et que la possibilité de voter certaines décisions proposées par l’État devrait être mise directement entre les mains du peuple. Une démocratie réelle ne peut être que locale : il faut que les gens puissent reprendre le contrôle de leur environnement immédiat. Ainsi, nous rêvons de la mise en place du principe de subsidiarité, qui dit que les problèmes doivent être résolus à la plus petite échelle compétente : mettre en place une forme de fédéralisme national permettrait de rapprocher le pouvoir des citoyens et de mettre fin au centralisme bonaparto-jacobin.
Il est nécessaire pour le peuple, s’il veut refaire de la politique, de se réapproprier ses propres institutions. Pour l’heure, on se réapproprie déjà de petits espaces, comme la place de la République ou Notre-Dame-des-Landes. Cette étape est sans doute incontournable, et peut-être n’est-elle que le début d’un long chemin.
Article initialement paru le 4 mai 2016 sur Le Comptoir
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