La science, comme l’économie, serait porteuse de vérité parce que neutre. Pourtant, entres autres exemples, l’axiome fondateur de la loi Travail passée en force, contre l’avis des millions de travailleurs qu’elle affecte déjà, dépend d’une certaine conception “scientifique” de l’économie et nous prouve bien que cette neutralité supposée n’en a bien que le nom et que la vérité qu’elle porte ne l’est que pour la minorité au pouvoir. Quand le contrat social est à ce point mis à mal, quand les décideurs favorisent le Capital plutôt que le peuple, peut-être faut-il essayer de réfléchir à ce(ux) qui le constitue(nt) et comment, pour pouvoir rendre la démocratie meilleure. C’est ce à quoi Jacques Testart, ancien chercheur en biologie et “père” du premier bébé-éprouvette français, consacre aujourd’hui son temps, notamment à travers l’association Sciences citoyennes. À dessein, il a récemment publié « Rêveries d’un chercheur solidaire », « L’humanitude au pouvoir – Comment les citoyens peuvent décider du bien commun » et « Faire des enfants demain ». Nous sommes allés le rencontrer. La première partie de notre discussion, contenue ci-dessous, porte sur la faillite de la démocratie, à laquelle les tenants de la vérité participent ardemment. Les moyens pour la rendre effective sont principalement contenus dans la seconde partie.
Alizé LJ : On entend ici et là que la démocratie vit une “crise” de la représentation. La “professionnalisation” de la politique faisant, les élus ne seraient plus vraiment (s’ils l’ont jamais été) les représentants de leurs représentés, mais les membres d’une oligarchie politico-médiatico-financière. Qu’en pensez-vous ?

Jacques Testart : C’est évident, oui. Le problème c’est de savoir si ceux qui sont dans les sphères dirigeantes sont des dirigeants ou des représentants. Ils se prennent pour des dirigeants parce qu’ils sont élus, donc ils ont la caution populaire. Mais à l’origine, la règle du jeu voulait – et les choses devraient redevenir comme ça – qu’ils ne soient que des représentants. Leur faculté d’initiative au cours de leur mandat devrait être limitée par un mandat initial auquel des correctifs pourraient être apportés si des choses imprévues ont lieu. En aucun cas ils ne devraient avoir le droit de prendre des décisions qui ne sont pas conformes aux engagements pour lesquels ils ont été élus, voire qui y sont complètement contraires. Je crois que c’est vraiment un point fondamental. C’est ce qui fatigue beaucoup les gens, politiquement, et les amène à s’abstenir. C’est le règne du « Tous pourris » sur lequel l’extrême droite prospère.
Est-ce qu’on peut dire que cette crise de la représentation est aussi l’apanage d’un manque criant de débat sur des questions qui semblent, somme toute, bien consensuelles pour nos experts médiatiques ? Je pense notamment à la procréation médicalement assistée (PMA) et à la flopée d’articles paraissant quotidiennement sur les nouvelles “avancées” technologiques, présentant gadgets en tout genre et annonçant les “révolutions” à venir, de la voiture qui se conduit toute seule aux prothèses bioniques.
Pour remédier au fait qu’on ne soit pas dans un régime vraiment démocratique, il faudrait faire des “débats démocratiques”. C’est la recette magique. À tel point qu’il y a une institution, la Commission nationale du débat public, dont les objectifs sont définis dans la loi, qui organise des débats publics. Elle en fait des centaines tous les ans, principalement sur des sujets locaux, et organise parfois – mais rarement – des débats nationaux sur des thèmes importants. Il y a une mythologie du débat public parce que c’est aujourd’hui une des rares occasions où la population peut venir s’exprimer. Mais, je crois que même s’il y en avait plus, ça ne changerait pas grand-chose.
Le “débat public”, c’est en gros un truc où des sachants viennent expliquer des points de vue et répondent aux questions des ignorants qui constituent le peuple. Il n’y a aucune formation des gens qui participent donc, quelques fois, les “débats” peuvent virer à des propos de bistrot, ce qui est sympathique, mais si on veut élaborer une ligne politique, c’est un peu faiblard.
« Du recrutement des chercheurs au choix des sujets de thèse en passant par les publications et la vie dans les laboratoires, le marché domine complètement l’activité de recherche. »
De mon côté, je milite pour qu’on prenne le peuple au sérieux, à condition qu’il soit formé. Ça peut paraître un peu paternaliste, mais l’idée c’est qu’il sache vraiment de quoi il retourne, qu’il ait reçu des informations contradictoires.
Une vérité ne peut pas émaner de ces “débats publics”. D’autant qu’il n’y a pas un vote à la fin pour décider de quelque chose. Il y a un rapporteur qui a une tâche complètement impossible. En général, un type bien, honnête, est choisi. Il va devoir dire « Voilà ce que j’ai entendu ». Ça veut dire quoi ? Ça veut dire que les jours où il y a eu des débats publics – ils ont souvent lieu sur plusieurs journées –, tel ou tel s’est exprimé tant ou tant de fois, mais ça ne dit rien de ce que penserait la population informée sur le même sujet. C’est une vision complètement tronquée de la démocratie. Personnellement, je m’y oppose, parce que c’est en train de grandir actuellement.
Le référendum fait un peu partie de la même famille. C’est un sondage mais au niveau de la population entière ; s’il est national c’est de tout le pays, s’il est local c’est d’une zone délimitée. Lorsqu’il y a une information spécifique sur le thème, c’est un peu plus qu’un sondage. Ça a été le cas de Notre-Dame-des-Landes, et ça a été le cas, surtout, sur le référendum sur la constitution européenne de 2005. Au niveau local, le gouvernement peut tout à fait délimiter la superficie à interroger à partir de sondages préalables pour être sûr d’avoir la réponse qui lui convient. Lorsque c’est tout le pays qui s’exprime, il est parfois surpris ou déçu de sa réponse et s’arrange pour ne pas en tenir compte.

Gouvernement français après le 29 mai 2005 : « Non c’est oui. »
La question initiale, c’était « Faut-il plus de débats ? » Non, pas sous la forme qui existe aujourd’hui en France, ni de la manière dont la loi le définit. C’est très bon pour le pouvoir parce que ça évite les mouvements désordonnés mais, dans l’ensemble, c’est du foutage de gueule. Il faut changer complètement les procédures.
Il semble que le manque de débat (pas public, mais de fond), en plus de nuire à la démocratie en confinant les décisions à ceux qui prétendent savoir, crée de nouvelles dichotomies : qui n’est pas à fond pro-nouvelles innovations est assez vite taxé de réactionnaire, quand ça ne va pas plus loin. J’imagine que parmi les chercheurs de l’Inserm [Institut national de la santé et de la recherche médicale, NDLR], vous n’êtes pas très orthodoxe. La discussion y est-elle possible ? Qu’en est-il au sein des publications scientifiques, le débat a t-il lieu ?
Au sein des publications scientifiques, il n’y a pas vraiment de débat. Il y a, parfois, un article de presse qui peut dire qu’un article scientifique est fautif, mensonger ou mal fait. Récemment, il y a eu l’affaire Séralini par exemple : un article scientifique qui a été critiqué par d’autres scientifiques en dehors du fait qu’il a aussi été repris par les médias. Ça peut arriver, mais c’est complètement exceptionnel.
Vous pouvez rappeler ce que c’est ?
Gilles-Éric Séralini, chercheur en biologie moléculaire à Caen, travaille depuis très longtemps sur la dangerosité du Roundup [le désherbant le plus utilisé dans le monde, produit par l’entreprise agro-chimique Monsanto et auquel les plants de maïs et soja OGM vendus par la même entreprise sont résistants, NDLR]. Il a fait beaucoup d’expériences montrant que c’est toxique. Il n’est pas le seul, d’ailleurs, à avoir montré des choses très inquiétantes. Dans ce papier qui a fait beaucoup de bruit, il a montré que si on donnait à bouffer du maïs qui a été imprégné de Roundup, ou si on mettait du Roundup dans l’eau que boivent les rats en quantité tout à fait raisonnable, équivalente à ce qu’il y a dans les plantes transgéniques, on avait des conséquences très graves, des tumeurs qui se développaient un peu partout. Il a fait cette expérience pendant deux ans. En général, les expériences sur les animaux durent trois mois. Ce qu’a montré Séralini, c’est qu’en trois mois on ne voit rien, il ne se passe rien. C’était ça, à mon avis, le plus fort dans son résultat, c’était de dire « toutes les expériences qu’on a faites jusque-là n’ont aucun sens ». On ne l’a pas du tout attaqué là-dessus d’ailleurs, on a parlé d’autre chose, on a dit « ouh là, les grosses tumeurs, il exagère ». On a aussi essayé de lui faire dire des choses qu’il n’avait pas dites : qu’il s’agissait de développements cancéreux notamment, ce à quoi il a répondu « non j’ai parlé de tumeurs, j’ai pas parlé de cancer. » Entre autres.
C’est un débat qui est allé assez loin parce qu’évidemment, il y a des intérêts économiques et idéologiques parmi les chercheurs qui travaillent à l’Inra [Institut national de la recherche agronomique, NDLR] sur les plantes transgéniques. Ils ne sont pas forcément payés par Monsanto mais idéologiquement, ils ne scient pas non plus la branche sur laquelle ils sont assis. Il y a, d’ailleurs, plein de gens honnêtes qui sont pro-OGM dans la recherche.

Donc, les rapports du chercheur qui ne rentre pas dans le rang avec ses collègues et son institution ne sont pas très simples. C’est assez rare que des gens soient expulsés mais ça arrive. Ça a été le cas d’André Cicollela qui a été le lanceur d’alerte sur les éthers de glycol. Il était chimiste. Il a fondé Sciences citoyennes avec moi et quelques autres. Il s’est fait virer d’un institut national pour avoir prétendu – démontré on peut dire – que certaines substances chimiques étaient dangereuses, mettant ainsi en cause l’industrie.
En général, on les fait taire de diverses façons. C’est ce qu’on fait d’ailleurs avec tous les lanceurs d’alerte. On essaye d’abord de les déconsidérer vis-à-vis de leurs collègues. Dans le privé, c’est peut-être encore pire, un fonctionnaire a au moins un statut protecteur. Mais, dans une entreprise, quand un ouvrier va dire au journal local « Les déchets qu’on jette dans la rivière sont polluants », tous ses collègues lui tombent dessus « Arrête tes conneries, on est déjà en difficulté économique, si on ferme la boite, qu’est-ce qu’on devient ? »
On ne connaît pas la plupart des alertes. C’est pourquoi, à Sciences citoyennes, on se bat pour une défense effective du lanceur d’alerte mais aussi de l’alerte elle-même. Il y a eu beaucoup de lois récemment, huit je crois, parce que le statut du lanceur d’alerte a été défini pour chaque domaine d’activité. Or, un lanceur d’alerte, c’est une bête particulière dans la nation. Il faut dire à quoi il sert. Il faut éventuellement qu’il y ait des mesures qui empêchent les gens de dire n’importe quoi au prétexte qu’ils seraient lanceurs d’alertes. Protéger le lanceur d’alerte, ça me paraît fondamental, mais protéger l’alerte c’est beaucoup plus important pour la communauté. Si on protège le mec mais qu’on ne donne pas suite à son alerte, le problème effectif va continuer. Il faut évaluer s’il y a vraiment un problème et, s’il y en a un, quelle est l’ampleur de ce problème pour la population. Pour la protection de l’alerte en elle-même, actuellement, il n’y a rien.
D’un point de vue juridique justement, comment faire ?
Avec Sciences citoyennes, on a proposé de créer une Haute Autorité de l’alerte et de l’expertise scientifique, parce qu’on ne peut pas juger un lanceur d’alerte ou l’alerte elle-même sans qu’il y ait une expertise qui permette d’apporter des arguments. Mais aujourd’hui, l’expertise, officiellement, c’est des gens qui sont dans le système, qui sont les plus pointus sur un problème. Ils sont en général des patrons de la recherche publique, mais il peut y avoir aussi des patrons de la recherche privée. Ils vont intervenir pour apporter la vérité. En général, ils sont tous d’accord entre eux. Ça, c’est l’expertise officielle. Nous, ce qu’on appelle une expertise, c’est beaucoup plus vaste, c’est l’expression de points de vue contradictoires. À notre sens, il y a des gens tout à fait aussi experts qu’à l’Inra ou à l’Inserm dans certaines associations par exemple : le Criirad sur le nucléaire ; le Criigen sur la génétique ; Greenpeace ou Les Amis de la Terre sur un tas de problèmes environnementaux. L’expertise n’est pas la propriété des statutaires, des gens parvenus à des postes à responsabilités dans les institutions publiques ou privées. À Sciences citoyennes, on tient beaucoup à l’expertise contradictoire. Il ne s’agit pas de ne prendre que des types de Greenpeace pour savoir si le nucléaire c’est bien, il faut justement interroger aussi des gens du CEA [Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives, NDLR].
Lorsqu’on a déposé un projet de loi pour créer cette Haute Autorité de l’alerte et de l’expertise scientifique, on nous a objecté que ce serait une usine à gaz. Tous les députés qui s’y sont opposés ont essayé de faire croire qu’on voulait une assemblée d’experts mais c’est impossible, on ne peut avoir une assemblée qui pourrait juger de tout. Non. Ça ressemblerait plutôt à un comité d’éthique tel que moi je le conçois, c’est-à-dire sans experts officiels mais avec des gens qu’on estime honnêtes, qu’on surveille un petit peu et qu’on change assez régulièrement. La fonction de cette Haute Autorité serait, à partir du moment où il y a une alerte, de solliciter des experts provenant de disciplines variées et avec des points de vue différents. C’est une démarche qui donnerait la pluralité à l’expertise, y compris celle des sciences humaines et de la société civile et donc arriverait à donner une certaine objectivité. C’est tombé à l’eau.
Pour revenir au sujet de la question, au sein des publications scientifiques, il n’y a pas beaucoup de débat. Actuellement, la fraude est un sujet dont on commence à parler. Le nombre de fraudes est délirant. Quand on demande leur avis sur le sujet aux patrons des grandes revues biomédicales incontestées, Nature et Lancet, ils ne disent pas que ça n’existe pas, ils disent que la moitié des articles qu’ils publient sont frauduleux. Frauduleux ne veut pas dire que ce qui est raconté est complètement faux mais peut-être un peu forcé pour arriver à donner un résultat plus pertinent. On change un petit peu les chiffres, on s’arrange pour faire une statistique qui conviendrait mieux à ça mais moins à autre chose, bref, il y a une volonté de truquer la vérité.
« Les grandes revues, “Nature”,“Science”, en première page c’est comme “Paris Match” maintenant. »
Tout ça a lieu parce qu’il y a une lutte énorme pour publier et parce que la recherche se fait sous contrat à peu près tout le temps maintenant. Aujourd’hui, la recherche est une activité au service de l’industrie et des marchés, complètement. C’est-à-dire que si un chercheur veut avoir les moyens de travailler, il faut qu’il arrive à être victorieux dans une proposition de contrat. On en prend un sur dix parmi les gens qui demandent. Ça demande trois mois de boulot pour préparer la proposition et, si elle est acceptée, il va pouvoir développer une recherche sur quatre ou cinq ans. Mais pour être accepté, il faut qu’il ait fait des propositions mirobolantes donc il faut qu’il ait forcé la vérité par rapport à ce qu’il sait qu’il pourra trouver. Une fois qu’il obtient le contrat, il est obligé, au bout du compte, de donner un résultat qui soit quand même conforme aux espoirs qu’il a suscité. Sinon ni lui ni son labo ne seront plus crédibles pour l’avenir. C’est terrible. Ce sont des faussaires qui ne sont pas malhonnêtes foncièrement mais qui sont poussés à la malhonnêteté, ne serait-ce que pour que la secrétaire ne soit pas virée. C’est la compétitivité en action. Ça fait partie des vices indiscutables qu’on a développés depuis une trentaine d’années. Je crois qu’avant c’était vraiment exceptionnel, maintenant c’est la norme.
On a du mal, de toute façon, à publier un résultat qui soit pas conforme à ce qu’il faudrait croire. En particulier, on a du mal à publier un résultat négatif. C’est-à-dire que si on montre qu’une molécule n’a pas d’effet, on va avoir du mal à faire publier ce résultat. Il faut publier du positif et, de plus en plus, du spectaculaire. Les grandes revues que j’évoquais, Nature, Science, etc. en première page c’est comme Paris Match maintenant. On est tombé bien bas dans la science.
De plus en plus, il faut aussi payer pour être publié et c’est parfois très cher. Les revues scientifiques elles-mêmes sont très onéreuses pour les laboratoires, de l’ordre de plusieurs milliers d’euros l’abonnement par revue. Du recrutement des chercheurs au choix des sujets de thèse en passant par les publications et la vie dans les laboratoires, le marché domine complètement l’activité de recherche. Et on fait semblant de ne pas le voir.
Quel est votre avis de biologiste et “père” du premier bébé-éprouvette en France sur ces déploiements technologiques et pseudo-utilitaires de la science ? Pensez-vous, comme certains, qu’ils doivent avoir lieu et même être généralisés pour le bien de l’humanité (dans la lorgnette du « plus de machines = moins de travail et de contraintes ») ou qu’au contraire ils doivent être limités et encadrés, toujours pour le bien de l’humanité ?
Je suis de plus en plus pour la slow science. Contre cette idée qu’on avait, il y a encore 50 ans, de chercher dans toutes les directions en mettant pleins de moyens parce que c’était de l’ordre de “l’honneur” de l’humanité de connaître. Je ne dis pas qu’il faut arrêter toute la recherche. C’est là qu’à Sciences citoyennes on est un peu en bisbille avec un groupe, par ailleurs très marrant et intelligent, Pièces et main-d’œuvre. On pense qu’il faut une recherche complètement différente et qui ne coûterait pas nécessairement des fortunes à la population, contrairement à des explorations spatiales et autres. Il y a, par exemple, des recherches de connaissance sur les comportements animaux qui ne coûtent pas grand-chose, simplement du personnel, et qu’on n’a pas du tout poussées à bout. Ces recherches-là mériteraient d’être maintenues pour tirer des enseignements à partir de ce que la nature nous propose. Et puis, il faudrait maintenir une recherche qu’il faut avoir l’audace d’appeler par son nom : une recherche finalisée, c’est-à-dire menée en vue d’une fin pratique. C’est déjà le cas de toutes les recherches en biologie aujourd’hui, puisque c’est sur contrat : on ne donne pas un contrat pour le bien de la connaissance, on donne un contrat pour obtenir un brevet ou pour qu’il y ait une application pratique derrière. Pourquoi pas ? Mais pour quelles innovations ?
Dans la société de décroissance, dans laquelle on est quasiment déjà, on ne peut plus continuer de fermer les yeux sans être dans l’absurdité la plus totale. Dans la recherche, on fait semblant aussi de croire que le monde va continuer comme il est. Le monde est en train de bifurquer. On est dans une période où il faut prendre ses responsabilités. Dans une société de décroissance, il nous semble qu’il faut une recherche qui ne soit pas décidée comme c’est le cas aujourd’hui : qui n’aura pas les mêmes buts et qui ne servira pas la même chose. Il faudrait qu’on mette en place des procédures qui permettraient à la population de savoir où il faut qu’on cherche.
« Aujourd’hui, l’expertise, officiellement, c’est des gens qui sont dans le système. »
Une recherche plus démocratique alors ?
Oui, tout à fait, et plus réaliste en même temps. Parce que la voiture sans pilote, c’est du gadget. En dehors des problèmes techniques que ça pose, c’est maintenir le mythe du déplacement automobile comme étant indispensable. C’est toute une idéologie qu’Ivan Illich avait déjà critiqué. Il y a aujourd’hui une mystification massive du public sur un tas de choses, le transhumanisme notamment. Tout ça occupe énormément d’argent et surtout, ça occupe l’esprit des gens. Ça permet de croire à un avenir meilleur, des lendemains qui chantent grâce au progrès technique.
Alors que la vraie révolution n’est pas « des voitures sans chauffeur » mais plutôt « des individus sans voitures ».
Évidemment. C’est une société qui serait construite pour que les individus n’aient pas besoin de voiture. Il faut une volonté politique pour ça. J’ai beaucoup de sympathie pour les villes en transition, pour Pierre Rabhi, etc., mais le monde ne va pas changer comme ça, je ne peux pas y croire. Le monde continue de produire du CO2, il y a du réchauffement. Ces discours sont intéressants au sens où ils amènent à la réflexion surtout quand, comme Rabhi, on est un peu poète, qu’on passe bien et qu’on ne propose pas des bouleversements révolutionnaires qui lui empêcheraient l’accès aux médias. Ce qu’il propose est assez policé mais, malgré tout, je ne crois pas qu’il soit inutile. Mais, à un moment, les changements doivent passer par le politique, par des décisions, par des empêchements et des contraintes mûrement réfléchies.
Article initialement paru le 9 janvier 2017 sur Le Comptoir avec la participation de Sylvain Métafiot
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